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AU MOYEN AGE

Le sujet de notre projet, qui cherche à raviver la Route du Sel reliant le littoral méditerranéen et le Rouergue durant le Moyen Age, couvre a priori une période trop vaste pour être traitée comme un tout homogène. Nous avons ainsi pris le parti de limiter son champ à la période dite « domaniale », qui s'inscrit entre le IXe et le XIIIe siècle. C'est celle de la toute puissance des seigneurs et abbayes du Languedoc qui, loin du pouvoir central, bâtissent leur fortune sur le commerce du sel. Nos recherches ont porté sur trois composantes de ce commerce : l'activité saline sur le littoral languedocien, son mode de production, l'importance du sel dans la vie quotidienne et l'économie rouergates, et enfin les routes qui créent un trait d'union entre ces deux régions.

Activités salines du littoral languedocien

Tirant profit d'un climat venteux et ensoleillé ainsi que de la présence d'étangs jouxtant la Méditerranée, le littoral languedocien est au Moyen Age un centre de production salin majeur. Trois groupes de salines s'échelonnent sur la côte du Languedoc depuis le Roussillon jusqu'au delta du Rhône : à l'ouest l'existence des salines particulièrement actives de la région de Narbonne est révélée dès le début du IXe siècle. Au centre les salines se déploient depuis l'étang de Vendres jusqu'à l'extrémité orientale de l'étang de Mauguio et intéressent plus particulièrement les diocèses de Béziers, Agde et Maguelone. Enfin, en poursuivant vers l'est, les salines d'Aigues-Mortes ne se développent véritablement qu'à partir du XIIIe siècle, lorsqu'elles sont acquises par la royauté capétienne.

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La production saline, alors considérée comme une activité agricole, est placée sous la dépendance des exploitations domaniales. D'abord propriétés de seigneurs laïques, les salines tombent progressivement dans l'escarcelle des abbayes par le jeu des donations ou des confirmations de privilèges établis en leur faveur. Gellone, Aniane, Valmagne, Saint-Thibéry, La Grasse, Caune, ces abbayes ne semblent pas avoir joué un rôle très actif dans l'exploitation des salines. Elles apprécient cependant de pouvoir disposer de ces mines d'or blanc, qui leur permettent de satisfaire leur consommation courante ainsi que l'alimentation de leurs troupeaux d'élevage, et constituent le cœur d'un commerce très lucratif. Ainsi, jusqu'à la fin du XIIe siècle, la possession de salines est davantage perçue comme un complément de ressources domaniales plutôt que comme une forme rationnelle et rentable d'exploitation industrielle et commerciale. L'utilisation du sel reste essentiellement conscrite dans le cercle local ou régional et n'entre pas encore dans un cycle général d'échanges. Cependant, l'activité des salines génère déjà d'importants revenus fiscaux, qui permettent aux ordres religieux et seigneurs locaux de renforcer leur indépendance face au pouvoir central.

Sur les sites de production

Sur le terrain, l'exploitation des salines peut être menée de diverses manières. Certains propriétaires en assurent eux-mêmes la marche ou s'adjoignent le concours d'une main-d'oeuvre masculine et féminine. D'autres, comme les abbayes, chargent des particuliers d'exploiter leurs salines en contrepartie du paiement d'une redevance en argent et en nature. Plus rarement, les exploitants non propriétaires sont soumis au régime particulier de l'acapte, qui comporte un droit fixe d'entrée payable en monnaie et un droit annuel d'usage versé en nature. Enfin, les modalités d'exploitation peuvent aussi faire l'objet d'un véritable contrat entre exploitant et propriétaire.

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Quant aux procédés appliqués au Moyen Age pour l'obtention du sel, ils nous sont parvenus à travers quelques rares textes. La phase de préparation s'effectue sur une première série de bassins, les partènements ou « chauffoirs », que les sauniers aménagent sur le pourtour des étangs. Ces partènements sont eux-mêmes divisés en séries de bassins de plus petite superficie, séparés par des digues ou « Cairel », et qui constituent des tables sur lesquelles s'effectuent les dépôts de sel. La liaison entre les divers bassins est assurée par de petits canaux de circulation nommés les « aiguilles ». Si les textes ne permettent pas de reconstituer avec certitude la manière dont l'eau de mer est acheminée vers les partènements, deux hypothèses restent plausibles : soit l'eau de mer pénétrait naturellement dans les espaces aménagés par le jeu des marées, soit on recourait à un procédé de pompage, comme cela existait déjà en Provence au XIe siècle*.


Concernant le personnel et les méthodes de travail, les renseignements demeurent très fragmentaires. Seul un texte du cartulaire de Maguelone, qu'on situe à la fin du XIe siècle, mentionne deux hommes paraissant être les maîtres d'oeuvre de l'exploitation : le salinarius, ou saunier, qui règle la marche normale du travail et le quartarius, muletier, chargé du transport du sel depuis la table où il est levé jusqu'à l'aire surélevée où il est mis en tas. Pour le contrôle de la levée de la dîme, tous deux suivent les directives du dizenier, représentant de l'évêque. Enfin, une main d'œuvre plus ou moins importante se tient à la disposition du saunier.

 

* En 1087 à Istres l'altometarius, une machine spéciale et automatique, déversait l'eau de mer dans un conduit pour l'amener jusqu'aux tables.

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Brebis empruntant les drailles

Flickr CC Office de tourisme Larzac Vallées

Les usages du sel au Rouergue

Au IXe siècle, le Rouergue est riche de ses forêts, qui fournissent un bois de qualité utilisé dans la fabrication des bateaux. Ce bois est ainsi acheminé à dos de mulets vers les ports de Méditerranée et les convois transportent en retour le précieux sel indispensable à la vie quotidienne des hommes et des bêtes. Elément conservateur, le sel permet de réaliser des salaisons qui constituent une spécialité fort appréciée de la région. Il entre également dans la confection des fromages, qui sont avec le pain les principaux aliments consommés par la population désargentée. Le sel est enfin employé dans les activités de tannage, qui se développent à Millau grâce au savoir-faire des Templiers, installés dès la seconde moitié du XIIe siècle sur le plateau du Larzac. L'Ordre renforce par ailleurs l'activité agropastorale en structurant les pratiques de l'élevage ovin qui fournit non seulement le lait, la viande et le cuir mais aussi la laine pour se vêtir. Avec l’agrandissement des troupeaux et le développement du pâturage, c'est au Moyen Age que se compose le paysage identitaire du Larzac, caractérisé par ses pelouses sèches, ses parcours et ses bâtiments. Son petit patrimoine unique, composé de lavognes, cuvettes collectant l'eau de pluie, de jasses, bâtiments isolés construits le long des parcours, de cazelles, petits abris en pierres, de clapas, tas de pierres provenant de l'épierrement des champs, et autres caves d'affinage, constitue avec les cités templières des traces tangibles des usages du sel et des activités qui y sont liées dans le Rouergue médiéval.

La Route du Sel au Moyen Age

C'est sur un réseau routier romain peu entretenu après l'époque carolingienne que s'organise la Route du Sel qui nous intéresse. La circulation des hommes et des marchandises, déjà fortement entravée par l'état défaillant des chaussées, fait également l'objet de diverses taxes imposées dès le règne de Charlemagne : sont concernés le passage des ponts, des cols, l'entrée dans les villes ainsi que l'usage de chariots et charrettes. De même, on prélève un droit de douane hérité des grecs, le tonlieu, ainsi qu'une taxe destinée à compenser les dégâts causés aux champs et aux prés des riverains. Au XIIe siècle, la liste s'enrichit de nouveaux prélèvements : un péage perçu pour le passage sur route et un droit de relève bénéficiant aux propriétaires riverains des voies antiques.

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Les bêtes de somme, qui se déplacent en convois plus ou moins importants, sont chargées des traditionnelles banastes, vastes corbeilles doubles dans lesquelles sont placées les marchandises. En dépit des conditions atmosphériques parfois difficiles sur les plateaux du Larzac et du Lévezou, les muletiers parcourent des distances quotidiennes comprises entre 80 et 100 kilomètres. Long d'environ 270 kilomètres, leur itinéraire est également emprunté par les chevaliers rejoignant Aigues-Mortes pour embarquer vers Jérusalem.

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Lavogne sur le Larzac

CC Toutaitanous

Très ancienne, la Route du Sel qui relie le Rouergue à la Méditerranée au Moyen Age permet d'entretenir des échanges économiques intenses entre ces deux régions, selon un système qui s'apparente au troc.

Références principales :

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